Mais derrière les vitrines élégantes, les relations entre marques et enseignes reposent sur des contrats commerciaux variés, adaptés au modèle économique et au degré de contrôle souhaité par la marque.
1. Le contrat de distribution sélective
C’est le modèle privilégié dans le secteur du luxe et de la beauté.
Le grand magasin est ici distributeur agréé dans un réseau sélectif structuré par la marque autour de critères qualitatifs précis (image, agencement, formation du personnel, etc.).
1.1. Caractéristiques :
- Le grand magasin achète les produits auprès de la marque et les revend à ses clients ;
- Les conditions d’agrément sont définies contractuellement ;
- La marque peut recommander un prix de revente mais ne peut pas l’imposer.
1.2. Cadre juridique :
- Conforme au Règlement (UE) 2022/720 sur les accords verticaux (règlement VBER);
- Les critères doivent être objectifs, proportionnés et non discriminatoires ;
- L’arrêt Coty Germany (CJUE, 6 décembre 2017, C-230/16 confirme la validité de la distribution sélective dans le luxe.
2. Le corner ou shop-in-shop
Modèle en plein essor dans les grands magasins de luxe : la marque exploite son propre espace de vente à l’intérieur du magasin.
2.1 Caractéristiques :
- Le grand magasin met à disposition un espace identifié (corner) ;
- La marque y vend directement ses produits, avec son propre personnel et son merchandising ;
- Le grand magasin perçoit un loyer fixe et/ou une redevance variable sur les ventes.
2.2 Risques juridiques :
- Ce contrat s’apparente à une concession d’espace commercial ;
- Il faut éviter qu’il soit requalifié en bail commercial déguisé, ce qui impliquerait des droits au renouvellement.
3. Le contrat de référencement
C’est la formule la plus souple pour les grands magasins multimarques. Elle permet à l’enseigne de sélectionner des marques et d’acheter leurs produits selon des commandes successives.
3.1 Caractéristiques :
- La marque devient fournisseur référencé du grand magasin ;
- Les conditions commerciales sont encadrées par un contrat-cadre et des bons de commande ;
- Le référencement peut être temporaire ou annuel.
3.2 Enjeux juridiques :
- Application des articles L.441-1 et suivants du Code de commerce (négociation commerciale annuelle, CGV, transparence) ;
4. Le contrat de distribution exclusive
Moins fréquent, il concerne surtout les corners haut de gamme ou les collections capsules exclusives.
4.1 Caractéristiques :
- Le grand magasin obtient une exclusivité territoriale ou de gamme ;
- La marque s’engage à ne pas vendre à d’autres distributeurs dans cette zone ;
- Le distributeur garantit un certain volume ou une mise en avant spécifique.
4.2 Cadre légal :
- Doit respecter les conditions du Règlement VBER (UE) 2022/720 sur les accords verticaux ;
- Attention aux clauses de durée excessive ou restrictions de concurrence abusives.
5. Le contrat de dépôt-vente
Surtout utilisé par les marques émergentes ou de créateurs, ce contrat permet au grand magasin de vendre les produits sans en devenir propriétaire immédiatement.
5.1 Caractéristiques :
- Le grand magasin agit comme mandataire vendeur ;
- La marque conserve la propriété du stock jusqu’à la vente finale ;
- Le grand magasin perçoit une commission sur chaque vente réalisée.
5.2 Points de vigilance :
- Prévoir les clauses relatives à la garde des produits, à la perte ou au vol, et aux retours invendus ;
- En matière de TVA, l’imposition n’intervient qu’à la vente effective au client final.
6. Tableau comparatif des principaux contrats
| Type de contrat | Propriété des produits | Contrôle de la marque | Exemple typique |
| Distribution sélective | Oui | Élevé | Marque de beauté de luxe |
| Dépôt-vente | Non (jusqu’à vente) | Moyen | Créateur indépendant |
| Corner / Shop-in-shop | Oui | Très élevé | Maison de couture |
| Référencement | Oui | Faible | Marque de lifestyle |
| Exclusivité | Oui | Élevé | Ligne capsule ou haut de gamme |
7. En pratique
Les grands magasins combinent souvent plusieurs modèles contractuels :
- Vente ferme pour les best-sellers,
- Dépôt-vente pour les nouvelles lignes,
- Corner pour les collections d’image.
Le choix du contrat dépend de trois facteurs :
- Le niveau de contrôle souhaité par la marque sur la distribution,
- Le risque financier accepté (stock, invendus, frais),
- Le positionnement stratégique de l’enseigne.
En conclusion
Le contrat de distribution conclu entre une marque et un grand magasin n’est jamais anodin : il structure la visibilité, la rentabilité et l’image du produit.
Pour les marques, en fonction du contrat, il est essentiel de négocier avec rigueur les clauses clés (propriété du stock, durée, exclusivité, responsabilité, délais de paiement, sortie du réseau) afin de préserver leur indépendance et leur cohérence de marque.
Je suis Sabrina Odeyer. En tant qu’avocate en droit de la distribution et des contrats commerciaux, j’accompagne les marques du luxe, de la beauté et de la mode dans la négociation et la sécurisation de leurs accords avec les grands magasins en France et en Europe.