Rupture d’un contrat de distribution : que dit la loi ?

Dans le contexte de l’arrivée contestée de l’enseigne SHEIN au sein du BHV Marais, plusieurs marques sous contrat de distribution ont annoncé leur retrait sans délai du grand magasin.

Mais en droit français, est-il possible de rompre un contrat commercial du jour au lendemain ? La réponse est non, sauf exception. En effet, en France, le droit commercial encadre strictement la rupture des relations commerciales établies.

1. Ce que dit la loi : l’article L.442-1, II du Code de commerce  

La règle est claire :

« Engage la responsabilité de son auteur le fait de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation. »

Autrement dit, une marque présente au BHV Marais ne peut pas cesser ses livraisons ou son partenariat de manière immédiate et sans délai, même si elle n’a plus d’intérêt économique à poursuivre la collaboration.

La loi protège ici le distributeur (le BHV Marais) contre une rupture brutale et non anticipée. La marque désireuse de rompre doit donc nécessairement respecter un préavis de rupture suffisant.

1.1 Combien de temps de préavis prévoir ?

Tout dépend de la durée et de l’intensité de la relation commerciale :

Durée de la collaboration

Préavis raisonnable admis par la jurisprudence

2 à 5 ans

1 à 6 mois

6 à 10 ans

6 à 12 mois

+ de 10 ans

12 à 18 mois (maximum légal : 18 mois)

En cas de litige entre les marques et le BHV Marais, en plus de la durée des relations commerciales, le juge appréciera au cas par cas la durée du préavis nécessaire selon la part de chiffre d’affaires concernée et le niveau de dépendance du BHV Marais envers la/les marques (existence d’une exclusivité ou d’investissements élevés par exemple).

A noter que la loi ne parle pas de contrat, mais bien de relation commerciale établie : si une relation commerciale existe, matérialisée uniquement par des factures régulières, alors la relation commerciale est établie, même en l’absence de contrat écrit.

1.2 Quand la rupture immédiate est-elle possible ?

Il existe toutefois des cas où une marque pourra rompre une relation commerciale établie sans préavis :

  • Manquement grave du BHV Marais (non-paiement [T. com. Nanterre, première ch., 28 oct. 2015, n° 2013F04089], atteinte à l’image de marque, contrefaçon, non-respect des conditions du réseau sélectif en cas de distribution sélective) ;
  • Force majeure, rendant impossible la poursuite de la relation ;
  • Fin d’un contrat à durée déterminée excluant la tacite reconduction

A noter : ces situations doivent toujours être documentées et notifiées par écrit, idéalement par lettre recommandée.

2. Les risques d’une rupture brutale des relations commerciales établies

Les marques désireuses de rompre leur relation commerciale établie avec le BHV Marais sans respecter un préavis raisonnable s’exposent à de lourdes conséquences :

  • Responsabilité civile de la marque,
  • Condamnation à indemniser le BHV Marais, en général à hauteur de la marge brute qu’il aurait réalisée pendant la durée du préavis manquant,
  • Atteinte à la réputation de la marque dans le secteur.

Exemple :  la Maison Céline a été condamnée à verser une indemnité de 26 042€ pour rupture brutale d’une relation commerciale établie depuis 5 ans [TJ Paris, 3e ch. 2e sect., 31 janv. 2025, n° 21/13754: https://www.doctrine.fr/d/TJ/Paris/2025/TJP8C2237FC183521013E91]

Exemple : la Maison Guerlain a été condamnée à verser une indemnité de 100 000€ pour rupture brutale d’une relation commerciale établie depuis 12 ans (CA Paris, pôle 5 ch. 5, 4 oct. 2012, n° 11/17783 https://www.doctrine.fr/d/CA/Paris/2012/RBB49F59DE574028DD978

3. Bonnes pratiques pour les marques souhaitant se retirer du BHV Marais au plus vite

Avant toute décision de retrait d’un point de vente comme le BHV Marais, il est conseillé aux marques de :

  1. Analyser la durée et la régularité de la relation commerciale,
  2. Vérifier le contrat s’il existe: BHV Marais peut avoir commis un manquement contractuel constitutif d’une faute grave (impayés récurrents ou prolongés, absence de respect des critères de sélectivité en cas de distribution sélective etc) justifiant une rupture sans préavis. Dans ce cas il est crucial pour la marque de conserver la preuve des motifs de la rupture
  3. Notifier par écrit la rupture et s’il est applicable, prévoir un préavis raisonnable

A noter : en cas de rupture avec préavis, les marques ne sont pas tenues de justifier leur souhait de résilier dans le courrier de résiliation. Il est d’ailleurs recommandé de ne pas motiver cette décision, au risque de ‘s’exposer à une contestation du BHV Marais.

4. À retenir

Sauf exceptions, une marque ne peut pas quitter le BHV Marais du jour au lendemain si la relation est établie et stable.
La loi impose un préavis écrit et raisonnable, sous peine de sanctions financières importantes.

🔍 En droit français, la liberté contractuelle s’arrête là où commence la protection contre la brutalité économique.

En conclusion

Pour les maisons du luxe, de la mode ou de la beauté, la gestion de la fin des contrats de distribution nécessite une approche fine : entre la préservation de l’image de marque et le respect du cadre légal français, la prudence est de mise.

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